Agents chimiques CMR en entreprise : “Employeurs et salariés doivent travailler main dans la main pour prévenir efficacement les risques CMR”

Les substances chimiques CMR (Cancérogènes, Mutagènes et Reprotoxiques) sont présentes dans différents produits et employés dans de nombreux milieux professionnels. Si la réglementation actuelle engage les employeurs à prendre de nombreuses mesures de contrôle et de prévention pour protéger la santé de leurs salariés, il est parfois difficile de s’y repérer tant la dangerosité de ces produits varient en fonction du seuil d’exposition, de la durée, du procédé utilisé etc. 

Le point sur les bonnes pratiques à adopter vis à vis des Risques CMR avec Stéphanie Perez-Bailly, toxicologue industrielle au CIAMT.

Parce qu’on a vite fait de s’y perdre avec tout ce vocabulaire et ces abréviations, petit rappel pour  bien comprendre de quoi on parle : les substances CMR sont considérées comme des agents chimiques dangereux (ACD) avec une spécificité CMR pouvant présenter un risque pour la santé humaine. Ces substances peuvent donner lieu à d’autres effets sur la santé plus ou moins immédiats en fonction de leur niveau de concentration dans les atmosphères de travail (atteintes des organes : système nerveux, reins, foie, peau…). 

La petite particularité des CMR est d’avoir un effet retard, c’est-à-dire que les impacts sur la santé ne sont visibles que quinze à vingt ans plus tard. Cette spécificité rend complexe l’établissement formel de liens de causes à effets sur la santé des travailleurs. Récemment, un décret a été publié en avril 2024 (2024-307) pour renforcer la traçabilité des expositions et imposer aux entreprises la communication aux services de la médecine du travail de la liste des salariés exposés aux CMR de catégorie 1A et 1B (effets avérés pour la santé humaine). 

Les équipes du Pôle de Toxicologie du CIAMT travaillent quotidiennement à l’identification des CMR en entreprise et conseillent leurs dirigeants sur les meilleures solutions de prévention à adopter pour protéger les salariés exposés. Rencontre avec Stéphanie Perez-Bailly, toxicologue industrielle au CIAMT.

Quelles sont les actions concrètes à mettre en place au sein de l’entreprise pour communiquer au mieux autour des risques CMR et les éviter ?

Il est impératif pour l’entreprise de former et de sensibiliser les salariés concernés afin qu’ils comprennent les risques chimiques présents sur leur lieu de travail, mais aussi les informer sur les mesures de prévention et les procédures à suivre en cas d’urgence. Le point clé est d’impliquer les travailleurs dans le processus de gestion des risques chimiques en encourageant la communication ouverte, la participation aux inspections de sécurité et la remontée des préoccupations ou des suggestions d'amélioration. Ensuite, il convient de mettre en place des programmes de surveillance de l'exposition aux substances chimiques dangereuses (métrologie des polluants) qui vont permettre selon les résultats obtenus d'ajuster ou non les mesures de prévention existantes. Une réévaluation du risque chimique sera à nouveau nécessaire en cas de changement de procédé de travail et/ou entrée d'un nouveau produit.  

D’une manière globale, je dirais : encourager le partage des bonnes pratiques en matière de sécurité entre les équipes et les responsables de service et/ou les dirigeants des entreprises, en mettant en place des forums de discussion, des groupes de travail ou des sessions de retours d'expérience pour partager des leçons apprises et les solutions efficaces. En mettant en œuvre ces mesures de sensibilisation et de prévention des risques au travail, les entreprises peuvent créer une culture de sécurité positive où les travailleurs sont conscients des risques chimiques, engagés à travailler ensemble pour prévenir les accidents, protéger leur santé et leur bien-être.

Pour protéger les salariés des risques chimique CMR, le premier réflexe est souvent de proposer des Équipements de Protection Individuelle (EPI). Que pensez-vous de cette pratique ?

Les EPI, seuls et en première intention ne sont pas pertinents. Il faut d’abord mener une Évaluation du Risque Chimique (EVRC) en amont et agir en premier lieu sur la substitution des agents chimiques CMR ou l'utilisation d'agents chimiques en "vase-clos". Lorsque l’agent chimique CMR ne peut pas être remplacé, il faudra alors procéder à la mise en place de captage localisé et compléter par la mise en service d'une ventilation du local. Les EPI sont à utiliser lors des phases d’exposition ponctuelle, en complément de la mise en place des Équipements de Protection Collective (EPC).
Maintenant, pour garantir l'efficacité des EPI, il est essentiel de sélectionner des équipements en fonction des risques spécifiques présents sur le lieu de travail, en tenant compte des caractéristiques des substances chimiques manipulées et des modalités d'utilisation. Il faut aussi en prendre soin. Il est important de les stocker dans des conditions appropriées pour éviter tout dommage ou contamination, en suivant les instructions du fabricant. Il faut régulièrement les inspecter et les entretenir, pour s'assurer qu'ils restent en bon état de fonctionnement et qu'ils offrent une protection optimale. Enfin, on conseille de surveiller régulièrement le port et les modalités d'utilisation des EPI sur le lieu de travail, pour garantir leur efficacité dans la protection contre les risques chimiques.

Quel rôle joue le CIAMT dans la gestion des risques chimiques CMR et toxicologiques en milieu professionnel ?

Le CIAMT est un partenaire privilégié de l’entreprise pour prévenir des risques au travail. Au quotidien, nous accompagnons les employeurs dans leur démarche de gestion du risque chimique. Nous proposons dans un premier temps, un volet accompagnement qui consiste à dresser la fiche d’entreprise qui répertorie les différents risques et dangers dont les agents chimiques. Dans le cadre du suivi médical individuel renforcé (SRI) des salariés exposés aux CMR, nous voyons les collaborateurs concernés tous les deux ans (au lieu de tous les cinq ans pour un suivi classique).  Nous apportons notre expertise en identifiant les agents chimiques CMR lors de l'analyse des fiches de données de sécurité (FDS) des produits manipulés, en caractérisant les expositions et en conseillant l'entreprise sur la substitution du (des) produits(s) ou changement du (des) procédé(s) de travail ainsi que sur le choix des EPC, EPI. Enfin, nous menons des actions de sensibilisation auprès des employés, parce qu’il est primordial qu’ils soient bien informés pour mieux se protéger. Nous sommes convaincus qu’employeurs et salariés doivent travailler main dans la main pour prévenir efficacement les risques liés aux ACD CMR, et ACD non CMR, afin de créer un environnement de travail sûr et sain pour tous.

Quelles sont les dernières évolutions en matière de risques chimiques et toxicologiques au travail ? Comment les anticiper pour garantir la sécurité des travailleurs ?

En matière de risques chimiques au travail, il y a des nouvelles technologies qui nécessitent une attention particulière, comme l’impression 3D ou l’augmentation de la fabrication des batteries en lithium. En matière de substances chimiques, on a pu observer une utilisation croissante de nanomatériaux dans la formulation des produits (noir de carbone, dioxyde de titane par exemple). Il y a une vigilance spéciale à avoir concernant l'usage des produits cosmétiques également en raison de la présence possible de perturbateurs endocriniens. La réglementation n'exige pas des fabricants l'établissement de fiches de données de sécurité (FDS) mais ces agents chimiques, connus pour certains comme étant des perturbateurs endocriniens, font l'objet d'exigences en termes de prévention similaires à celle des agents chimiques CMR. Enfin, la liste des agents chimiques CMR évolue constamment en fonction de l'avancée des connaissances en toxicologie, et avoir une veille scientifique active sur ces évolutions fait également partie de nos missions.